László Moholy-Nagy

1920: "Manifeste réaliste" de Naum Gabo et Antoine Pevsner ("annonce la mort de la peinture, formule l'exigence d'un art lié à la production et entend substituer au volume statique et à la ligne le rythme cinétique et la profondeur spatiale"). (p.23)

1922: "Telephone Paintings"

Dans "Une nouvelle création dans la musique. Les possibilités du gramophone" (1923), Moholy-Nagy, se rapprochant des idées défendues par Piet Mondrian, propose de transformer le gramophone, c'est-à-dire d'en faire un instrument "productif". Le programme sonore ainsi constitué requiert la mise en place d'un "alphabet gravé", tracé par le créateur sur les sillons du disque et susceptible de produire des sons proprements inouïs, des sons qui n'auraient jamais existé.

Projet ultérieurement repris dans "Nouvelles expériences cinématographiques" (1933) et appliqué cette fois au cinéma parlant. L'alphabet gravé, né de la pure imagination du créateur, puis transposé acoustiquement, permet de "rénover la musique" et d'élaborer des sons jusqu'alors inconnus. Il ouvre la voie à ce que Moholy-Nagy appelle "la machine à composer optophonétique" qui, imprimant sous dictée, fonctionnerait comme l'appareil du film parlant. (pp.36-37)


1925: Moloy-Nagy publie son grand œuvre théorique: "Peinture, photographie, film". Préparé au cours de l'été 1924, l'ouvrage est le huitière volume de la série des "Bauhausbücher" mis en place par Gropius et Moholy-Nagy.

---

"Modulateur espace-lumière", élaboré de 1922 à 1930.

C'est en 1930, soit après huit années d'expérimentation et deux ans après son départ du Bauhaus, que Moholy-Nagy peut enfin réaliser le "Modulateur espace-lumière", ensemble mécanique constitué d'une structure électrique, de miroirs et de lampes. Comme le décrit très exactement un article paru en 1930 dans "Die Form", l'appareil se compose d'une boîte cubique de 1,20 m de côté, avec une ouverture circulaire sur l'avant. Autour de l'ouverture, sur la face interne de la boîte, on a placé des ampoules jaunes, vertes, bleues, rouges et blanches. (...)

Ce Modulateur, qui a servi ans les années soixante de référence à l'art optique, fut présenté pour la première fois à Paris, en 1930, à l'occasion de l'exposition de la société des artistes décorateurs qui se tenait au Grand Palais.

---

couleurs: page 204! + 208
"Peindre avec la lumière. Un nouveau moyen d'expression" ("Painting with Light", The Penrose Annual, Londres, No 41, 1939, p.25-31)

Orgues de couleurs (p.31-32)

On le sait, premier orgue de couleurs date du XVIIIe siècle. Inventé par Louis-Bertrand Castel, père jésuite et mathématicien, l'orgue était conçu de manière telle que les touches actionnaient des languettes pour faire vibrer les cordes, mais faisaient aussi apparaître des bandes colorées transparentes. Le principe était de «rendre visible le son», de «faire les yeux confidents de tous les plaisirs que la musique peut donner aux oreilles». Un système de correspondances se mettait ainsi en place, commenté par les Lettres du père Castel: «La musique modifiée fait les couleurs, le son modifié fait les tons, les couleurs mêlées font la peinture, les tons mêlés forment la musique». D'avantage encore: l'entreprise ne se voulait pas celle d'un artisan, mais d'un philosophe. Et le père Castel de défendre son invention en ces termes: «Ce clavecin est, j'ose le dire, une grande école pour les peintres, qui pourront y trouver tous les secrets des combinaisons des couleurs ..., une musique muette».

(Source: Louis-Bertrand Castel, "Lettres", 1725, Cité par Frank Popper (in: "Naissance de l'art cinétique, Paris, Gauthier-Villars, 1967, chap. 7: "Mouvements lumineux", p.150)

C’est à la fin du XIXe siècle, note Moholy-Nagy, que l’expérimentation trouve un nouvel essor, notamment autour d’Alexandre Wallace Rimington, auteur de Colour Music, the Art of Mobile Colour (1911), et d’Alexander Scriabine qui, présentant à Moscou son Poème de feu ou Prométhée (1910), introduit dans sa partition le «clavier à lumière» pour accompagner de nuances de couleurs les différentes modulations de son poème symphonique. (...)
Mais si Moholy-Nagy connaît et commente de telles expériences, c’est au «Clavilux» de Thomas Wilfred, et plus encore au film abstrait et aux «jeux de lumière» qu’il fait référence.

Écrire avec la lumière, c’est aussi ce que préfigurent les expériences faites au Bauhaus de Weimar, au cours de l’été 1922, par Joseph Hartwig, Kurt Schwerdtfeger et Ludwig Hirschfeld-Mack. Hasard d’abord, maîtrise ensuite: lors d’un essai de jeu d’ombres prévu à l’occasion d’une fête et du nécessaire remplacement d’une lampe d’acétylène, un dédoublement d’ombres se produisit fortement sur du papier transparent. Les lampes d’acétylène étant de couleurs différentes, une ombre «froide» et une ombre «chaude» pouvaient être simultanément perçues. Hartwig, Schwerdtfeger et Hirschfeld-Mack convertirent immédiatement ce qui n’était qu’un hasard en expérimentation concrète.
Ils multiplièrent les sources de lumière et placèrent devant elles des verres colorés, créant ainsi un nouveau moyen d’expression plastique, les Reflektorische farbenlichtspiele (Jeux de lumière colorée réfléchie), qui furent présentés au Bauhaus en mai et septembre 1924. Ces jeux de lumière colorée réfléchie tenaient à la fois de la représentation théâtrale et du cinéma, et s’accompagnaient chez Hirschfeld-Mack d’une musique jouée au piano. La Lichtsonatine et la Farbensonate de Hirschfeld-Mack poursuivaient ainsi le développement simultané des formes visuelles, de la lumière et du son.

Articles de Moholy-Nagy:

«Le Modulateur espace lumière d'une scène à dispositif électrique», Die Form, Berlin, n° 11-12, 1930.
«Nouvelles expériences cinématographiques», Korunk, Kolozsvár, vol.8, n°3, 1933.

---

Moholy-Nagy:

Peinture Photographie Film
Malerei, fotographie, film. Bauhausbücher 8, Munich, Albert Langen Verlag, 1925, 139 p, 74 ill.

Extrait:
Chapitre 1: De la peinture à base de pigments aux jeux de lumière par réflexion

Depuis des siècles on tente de mettre au point un orgue de lumière ou un clavier de couleurs. Les tentatives de Newton et de son disciple Pater Castel sont bien connuesa. Nombreux furent les érudits qui, dans leur sillage, s’employèrent à résoudre le même problème. Plus récemment, les expériences de Scriabine ouvrirent de nouveaux horizons.
C’est en 1916, à New York, qu’il accompagna la première de sa symphonie intitulée Prométhée de gerbes de lumière projetée dans l’espace. Le Clavilux (vers 1920) de Thomas Wilfred (Amérique) était un appareil analogue à la lanterne magique, permettant de mettre en scène des variations d’images changeantes et abstraites.

(...)

Au Bauhaus, Scherdtfeger, Hartwig et Hirschfeld-Mack se consacrèrent la production de jeux d’ombres et de lumières par réflexion. Leurs travaux, basés sur le chevauchement et le mouvement de surfaces colorées, demeurent à ce jour la mise en forme cinétique des lumières la plus réussie.

a) l’auteur fait ici référence à l’ouvrage du mathématicien, physicien et astronome anglais Isaac Newton (1642-1727) intitulé Traité d’optique (1704), et aux travaux de Louis Bertrand Castel (1688-1757) jésuite mathématicien et physicien français. Celui-ci est ”“ entre autres écrits ”“ l’auteur d’Optique des couleurs (1740), et de «Nouvelles expériences d’optique et d’acoustique» publiée dans les mémoires de Trévoux (1735). C’est dans ce dernier écrit qu’il exposa son système de «clavecin oculaire». Ayant établi l’analogie des sons et des couleurs, il tenta, sa vie durant, de construire un clavecin chromatique ou clavier de couleurs supposé affecter l’organe de la vue par la variation des couleurs, de la même manière que le clavecin affecte celui de l’ouïe par la variété des sons. (NdT)

b) Scriabine ou Skriabine Aleksandr Nikolaïevitch, compositeur et pianiste russe (Moscou, 1872 ”“ 1915).

---

Source:
László Moholy-Nagy: "Peinture, photographie, film, et autres écrits sur la photographie"
Trad. de l'allemand par Catherine Wermester et de l'anglais par J. Kempf et G. Dallez
Préface de Dominique Baqué
Editions Hacqueline Chambon, Nimes, 1993
ISBN 2-87711-090-7

cf. Bibliographie

---